Papiers poussiéreux

Ce début d'après-midi était marqué par une chaleur étouffante qui enveloppait ceux qui avaient le malheur de devoir sortir de chez eux. Néanmoins, ces conditions météorologiques n'étaient pas suffisantes pour exempter de toute activité les membres du clan, si bien que Kazuya se retrouva tout de même seul chez lui.

Il avait profité de la matinée pour faire un tour dans la bibliothèque familiale, où il n'avait plus mis les pieds depuis assez longtemps. Il s'agissait d'une pièce annexe à la salle de réunion se trouvant directement à droite dans le hall de la grande bâtisse. La pièce en elle-même était assez petite et mal éclairée. Prenant ses précautions, il s'était équipé d'une petite lampe qui ne lui fut néanmoins d'une utilité que très limité. Chacun de ses pas était accompagné d'un petit nuage oscillant entre le gris et le brunâtre, presque suffisant pour masquer la source de lumière qu'il avait apporté.

Kazuya s'en amusait. La couche de poussière qui s'était déposé ici avait calqué les empreintes de pas des rares membres du clan qui s'y étaient aventurés il y a peu. De façon assez simple et suivant un procédé très similaire, on pouvait également deviner les livres les plus intéressants, ou tout du moins, les plus lus, c'est-à-dire les moins poussiéreux.

Après cette petite escapade, Kazuya était rentré pour le déjeuner avant de quitter la maison en elle-même au profit du petit jardin qui précédait le dojo. Il avait pris soin de laisser un petit mot au pas de sa maison, au cas où quelqu'un voudrait venir le trouver. Ce message était destiné tout particulièrement à Akira qui avait manifesté son envie de venir voir par lui-même ce que la bibliothèque avait à offrir.

Le jardin où Kazuya se trouvait n'était pas très grand mais très bien agencé. La statue de buffle régnait sans conteste en ces lieux, les plantes semblant avoir été sélectionnées et placées de telle sorte qu'elles puissent mettre en valeur la représentation de l'animal clanique. L'héritier profitait régulièrement de l'isolement des lieux, et par les temps qui courent, de la fraîcheur qu'on pouvait y trouver. Se sentant à ses aises, il s'allongea sur le banc de pierre pour y faire une petite sieste.

Kazuya se réveilla en sursautant par l'effet de surprise. Encore à moitié dans le coltard, il s'assit sur le bord du banc sans répondre avant de prendre sa tête dans ses mains, tout en faisant attention à ne pas appuyer trop fort sur sa balafre. Il n'avait plus le pansement mais la cicatrice était encore assez douloureuse.

"Salut Akira, tu t'es enfin décidé à venir ! Je dois t'avouer que je n'ai été qu'à moitié convaincu par ton discours de la dernière fois, tu t'étais montré assez réticent, j'avais presque perdu espoir que tu passes me rendre visite. Néanmoins, te voilà ! Je ne vais pas te faire perdre ton temps, suis-moi."

Parallèlement à son discours, Kazuya s'était approché de la statue de buffle qu'il toucha au niveau du front à l'aide de son index, de son majeur et de son annulaire. Une fois le geste effectué, il se dirigea cette fois-ci vers la porte conduisant au hall de la grande bâtisse, tout en faisant signe à Akira de venir.

On pouvait voir trois grosses lampes au pied de la porte, l'héritier avait bien retenu son expérience matinale et il trouva que cela ne serait pas de trop. Une fois récupérées, les deux adolescents marchèrent en direction de la bibliothèque, traversant le hall puis la salle de réunion. Arrivé à l'intérieur, Kazuya déposa l'une des lampes sur la grande table centrale puis en tendit une à Akira pour qu'il s'en saisisse.

"Voilà à peu de choses près la bibliothèque familiale. Elle est probablement moins impressionnante que l'idée que tu devais t'en faire mais elle devrait satisfaire une partie de ta curiosité littéraire, je l'espère. Par quoi voudrais-tu commencer ?"

Kazuya contemplait le spectacle qui s'offrait à lui avec un malin plaisir, Akira vadrouillant dans la petite bibliothèque familiale comme un enfant dans un magasin de jouets. Visiblement, il avait bien fait de l'inviter et semblait tout exciter à l'idée d'y trouver de véritables trésors littéraires. Pour ainsi dire, l'héritier ressentait une forme assez amusante d'immaturité émanant de son camarade.

Il s'était assis sur le bord de la table centrale, réceptionnant les livres et les parchemins anciens que lui tendait Akira, les plaçant derechef à sa gauche ou à sa droite, selon l'envie qui lui prenait. Kazuya restait assis, les bras souvent encombrés et les jambes se balançant quelques dizaines de centimètres au-dessus du sol.

Néanmoins, il fit l'effort de se lever pour répondre à son camarade, faisant un petit signe de la main en direction de la table, comme pour lui indiquer où poser les ouvrages qui l'intéressaient. 

"Tu sais, ce n'est pas tant que les gens de mon clan ne veulent pas lire, il s'agit plutôt du fait que mon clan n'a plus le temps nécessaire pour se consacrer à ces arts … sans parler du fait que le savoir s'est perdu en grande partie après l'exil et l'abandon de la voie du ninja par la grande majorité des miens …"

Kazuya s'était arrêté après ces mots, se tourna vers la table et posa lourdement ses mains dessus, les bras tendus et ses cheveux cachant son visage qui regardait le sol, comme par résignation.

"Les miens n'ont désormais de Mishima que le nom, la force et la peau, pas grand chose de plus. Quelques coutumes entretenues pour marquer la différence avec les autres, mais nous ne sommes aujourd'hui rien de plus que l'ombre de notre passé."

Après cette phrase pleine de sens, il se redressa pour faire face à Akira. Ses capillaires sanguins oculaires étaient gorgés de sang, sa stature droite et fière. Sa voix portait et semblait solennelle.

"Pense-bien que je compte changer tout ça, je redorerai notre blason et lui redonnerai la place qu'il mérite dans le monde ninja."

Comme si de rien n'était, il se rassit sur la table avant de poursuivre.

"Ce livre sur le Taijutsu dont tu me parlais, il est très agréable à lire et encore plus facile à comprendre. Un prérequis à quiconque prétend s'y connaître un tant soit peu dans ce domaine. Il est riche en illustrations d'une très grande qualité, et bien que les techniques abordées soient simples, elles restent redoutables." 

"Je pense que tu es dans l'erreur, précisément parce que l'être humain n'est en rien comparable avec le reste de la nature. Je ne connais pas tes croyances personnelles, mais les nôtres distinguent formellement l'être humain du reste du monde, vivant ou inanimé. Nous sommes matière, certes, mais nous sommes également esprit, à travers l'âme qui anime notre corps."

Kazuya marchait tranquillement autour de la table centrale, faisant de grandes gesticulations avec ses bras et ses mains comme pour rendre son discours grandiose. Il pointa ensuite du doigt Akira avant de reprendre.

"Néanmoins, je te rejoins sur le fait que certains humains sont condamnés à vivre, à mourir et à disparaître, comme le reste du monde. En revanche, ceux-ci ne doivent pas être considérés comme la normalité, mais plutôt comme la preuve même de leur échec en quelques sortes. Sans l'âme, sans l'esprit, nous ne sommes pas bien différents du reste du monde animal. Quelle différence entre le paysan ignare et alcoolique et un cerf ? Aucune en soi. Les deux vivent, meurent puis sont oubliés du reste de l'univers.

Celui qui est doué d'un esprit surpasse le reste de la Création, et pour s'en convaincre, il suffit de regarder ce que permet de réaliser une grande maîtrise du chakra, intimement liée à la force de l'esprit de l'utilisateur. Parmi nous, les meilleurs surpassent toutes les lois de la nature. Pendant que de pauvres vagabonds meurent de soif dans le désert, certains peuvent créer une oasis d'un claquement de doigt, ou presque. Si ceux-là sont capables de faire en sorte que leurs actes soient à la hauteur de leur esprit, alors ceux-là sont capables de transcender leur simple condition humaine en vivant éternellement, au-delà de la mort.

Jinpachi Mishima en est l'exemple le plus frappant. Il est mort il y a bien longtemps, mais ses enseignements et son esprit se manifestent toujours à travers certains, dont moi. Il a dépassé la mort, en vivant éternellement dans le coeur des hommes … de certains du moins.

Tout ce beau discours pour te dire que je ne crois pas en notre condamnation à disparaître dans l'oubli, voilà tout."

Kazuya regardait la liste de livres qu'Akira avait posé sur la table tandis qu'il réalisait son exposé. Le jeune adolescent venait d'exprimer son envie de les emprunter temporairement afin de les retranscrire. En soi, l'héritier n'y voyait pas vraiment de problèmes, il accordait une certaine confiance à l'interlocuteur et était persuadé que celui-ci viendrait les rendre par la suite et qu'il en prendrait soin. Le réel soucis résidait dans l'ignorance de Kazuya quant à la valeur de ces ouvrages.

"Dans l'absolu je n'y suis pas opposé mais le plus simple serait encore que tu restes ici pour réaliser tes retranscriptions. Tu pourrais venir les après-midis comme tu l'as fait aujourd'hui. Comme je te l'ai déjà dit, il y a peu de chances que tu croises qui que ce soit à cette heure-ci, encore moins dans la bibliothèque, tu ne seras absolument pas déranger. D'ailleurs, pourquoi ces livres et pas d'autres ? Quelle est la raison pour laquelle tu as choisi ces livres en particulier ?"

"En réalité je pense que nous sommes tous soumis à cette règle dont tu parles, celle qui viendrait à dire que nous sommes tous condamnés à redevenir poussière, à la différence près que je pense qu'il est possible de s'extraire de ce cycle infernal. En revanche, je ne suis pas convaincu qu'il soit nécessaire d'être riche ou d'avoir un don pour y parvenir, il suffit de regarder le nombre de nobles ou de grands combattants qui sombrent dans l'oubli éternel après leur mort. L'élément requis est d'une nature bien supérieure à tout cela."

Son discours fut marqué d'une courte trêve pour qu'il puisse reprendre son souffle après s'être emballé face à la grandeur de ses propos. Il s'était rassis sur un des coins de la table, puis se tourna en direction d'Akira tout en le regardant fixement dans les yeux.

"L'Homme qui vit éternellement doit préalablement marquer l'histoire par ses qualités, confirmées par ses actes, et pour vivre éternellement dans l'honneur, toutes les méthodes ne s'y prêtent pas. Il faut être un homme droit et implacable, voilà tout. Même le plus idiot de tous peut y parvenir s'il réunit les qualités nécessaires et qu'il œuvre ainsi. 

Quant au destin de ceux qui n'y parviennent pas, ne crois pas qu'ils soient totalement inutiles. En réalité, ils sont en quelque sorte le véhicule à travers lequel le Héros vit encore. Si l'humanité venait à disparaître, l'âme des grands Hommes disparaitrait probablement aussitôt. D'une certaine manière, on pourrait considérer que Jinpachi Mishima vit encore, précisément parce que les gens de son clan sont encore vivants."

Kazuya écoutait les plaintes de son camarade avec attention. En réalité, il ne savait pas trop quoi en penser, puisqu'il n'avait lui-même aucune idée du niveau d'Akira. Les circonstances de cette défaite cuisante, l'adversaire dont il est question, tous ces éléments sont à même de changer la donne. Quoiqu'il en soit, l'héritier ne comprenait que trop bien les motivations d'Akira.

"D'une certaine manière, c'est toi qui a gagné ce duel. Si seul ton ego a été atteint au cours de ce combat, tu as tous les outils en mains pour que votre prochaine entrevue ait une toute autre conclusion. Je trouve que les gens sont trop suffisants vis-à-vis d'eux-mêmes et il est fort à parier que ton adversaire appartienne à cette catégorie, qu'il se repose sur ses lauriers. Si tu le veux, je peux même t'aider pour ton entraînement. Pourrais-tu m'en dire plus sur les circonstances ? Comme as-tu été vaincu ? Pourquoi ? Par qui ?"

Kazuya ne répliqua rien suite au discours d'Akira, bien que l'héritier trouva que sa réponse n'était pas digne de celle qu'il attendait. Néanmoins, il ne souhaita pas s'avancer plus à ce sujet, ne connaissant pas suffisamment bien l'histoire de son camarade. 

"La tradition mon ami, j'ai été élevé dans la tradition implacable qui gouverne le destin d'un certain nombre de clans provenant de Kumo. L'institution du code auquel je fais référence ne concerne pas seulement le clan des Mishima, mais un ensemble bien plus grand de familles qui avaient décidé de suivre une voie commune à une certaine époque du Village Caché par les Nuages. Cette loi a apporté paix et prospérité au village à une époque où nous nous entretuions. Depuis nous vivons avec une morale implacable dans laquelle j'ai été élevé et qui m'a permise d'être celui que je suis aujourd'hui."

Après ces quelques mots, Kazuya tira une chaise rangée au côté de la table avant de s'asseoir dessus.

"Je n'ai pas hérité de ma place contrairement à ce qu'on pourrait croire, j'ai du me battre, littéralement, pour l'obtenir. En vainquant je suis devenu le successeur de mon père, lui-même successeur de l'illustre Jinpachi. Toutefois, cela a scellé le destin d'un membre de ma famille, le condamnant à bien des souffrances. Aujourd'hui je suis parmi les plus forts, mais cela a un prix."

Il s'arrêta un instant et prit sa besace en main. Il l'ouvrit pour en sortir une bouteille contenant du thé glacé préparé, avec les plus grands par Grand-Mère le matin même. Il sortit également deux verres et posa l'un d'entre eux devant Akira. Kazuya le servit avant de réitéré l'opération pour soi, puis poursuivit.

"Fais donc, commence à retranscrire maintenant si tu en as l'envie. Concernant Akashi, je ne peux te dire toute la vérité qu'à l'unique condition que tu ne répètes cela à personne, pas même à l'individu auquel tu ferais le plus confiance, cela risquerait de déstabiliser le village, et bien pire encore."

Kazuya affichait un visage assombrit par le poids des événements qu'il s'apprêtait à raconter. Il fixait un coin de la bibliothèque et ses cheveux venaient masquer une partie de sa face qui n'exprima pas la moindre saute d'humeur tout au cours du récit.



"Il y a quelques jours, à la scierie des Mishima, se produisit une véritable tragédie … J'y étais pour m'entraîner, comme je le fais occasionnellement. J'ai été rejoins par un drôle de personnage, Kaïto le marionnettiste. Alors que nous mangions, nous fûmes interrompus par Aiden, quelqu'un avec qui j'avais également quelques contentieux, bien qu'assez mineurs. Il chassait à proximité de la scierie et ne comptait pas partager sa proie, je l'ai donc défié comme il se doit. Comme de par hasard, il fallait qu'un autre hurluberlu sorte de l'ombre, il s'agissait de Shin cette fois-ci. Je ne connaissais que très peu de choses à son sujet. Aiden releva notre défi à l'unique condition que nous nous battions tous les trois contre lui, chose que nous avions accepté."

L'héritier s'arrêta quelques instants. Il but d'une traite son verre de thé glacé qu'il remplit aussitôt. Il se leva, marcha un peu, faisant le tour de la table, avant de venir se rasseoir à sa place.

"Ce combat ne présentait aucun enjeu en soi, simplement une bagarre entre adolescents. Néanmoins, cela tourna très vite au drame lorsque Shin et moi-même tombâmes dans le piège que nous tendait Aiden. C'est à ce moment précis que j'ai été gravement blessé, Shin ayant projeté ses épieux vers moi, pour une raison que j'ignore toujours. Lui-même était à terre, rôti par une technique puissante dont j'ai le secret et que j'avais réalisé dans le vif de l'action. Quelques instants plus tard, je prenais conscience de ma mutilation et simultanément, je vis Aiden dans le dos de Kaïto. Un coup de sabre. Une giclée de sang incroyable s'extirpant du dos du marionnettiste. Voilà les événements dont je me souviens avec la plus grande clarté.

Quelques instants plus tard, il se retrouvait au sol, gisant dans une véritable mare de sang. Par le plus grand des hasards bien entendu, ce diable d'Akashi apparut à ce moment-là et par un mystérieux sortilège, il parvint à toucher la corde sensible d'Aiden, le faisant s'écrouler à terre. Petit pas par petit pas, je me suis approché de ce dernier avant de lui infliger un coup d'une violence inouïe. Il fut propulsé des mètres plus loin. J'entends encore le bruit de ses os se briser à l'impact. L'arbre contre lequel il vint s'éclater manqua de peu de se fendre en deux.

Dans de telles circonstances, il était impératif de flanquer une véritable correction au monstre responsable de cette boucherie. Il avait attaqué Kaïto dans le but de le tuer et j'avais perdu mon œil par sa faute. J'ai donc tenté de me rapprocher d'Aiden mais je ne le pus. Un violent coup s'abattit sur ma nuque sans la moindre explication. Il s'agissait d'Akashi. Cet ordure venait de sauver Aiden mais n'avait rien fait pour aucun d'entre nous. Il venait de m'achever dans le dos alors que j'étais gravement blessé. Voilà qui il est, sache-le.

Il est venu me parler lorsque j'étais à l'hôpital, et il m'a clairement dit qu'il ne laisserait personne faire de mal à Aiden le fou sanguinaire, qu'il serait toujours là pour le protéger contre quiconque. Maintenant tu connais toute l'histoire à ce sujet. Quand je t'avertissais sur les jeunes du village, je parlais de ces deux-là. Il se trame quelque chose de très dangereux, fais très attention si tu devais les côtoyer un jour."  

Kazuya avait porté une grande attention aux paroles d'Akira, scrutant la moindre réaction que pourrait susciter l'histoire qu'il venait de lui conter. Visiblement, elle l'avait ébranlé et l'héritier n'était en réalité qu'à moitié surpris. Le jeune Senju présentait Aiden et Akashi, à peu de choses près, de la même manière que Kazuya.

"Je ne sais pas si les nouvelles sont bonnes, ni pour Kaïto et Shin. En tout cas, ils étaient vivants lorsque j'ai quitté l'hôpital, mais rien ne garantit qu'ils ne soient pas estropiés ou handicapés. Tes paroles viennent confirmer mes soupçons à l'égard d'Aiden. Bien que j'éprouve une haine féroce à son encontre, elle est beaucoup moins claire et limpide que celle que je ressens vis-à-vis d'Akashi.

Aiden semble être animé par des pulsions qui le dépassent, et je ne peux que m'identifier à lui sur ce point, mes accès de colère ayant déjà faits parler d'eux à travers tout le village … mais rien qui ne soit véritablement comparable à la furie dont il semblait être victime à la scierie.

Je revois cette image comme si j'y étais, Aiden implorait qu'on lui vienne en aide, alors qu'il gisait au pied de l'arbre … Était-ce pour qu'on le sauve de ses blessures, ou de lui-même ? Je ne saurais dire. Quoiqu'il en soit, cet individu est très dangereux, et tant que son affaire n'est pas résolue, nul ne devrait dormir sur ses deux oreilles.

Quant à Akashi, il me semble peut-être bien plus dangereux encore, parce qu'il agit en toute lucidité. Aiden est peut-être fou, certes, mais l'autre est totalement conscient de l'ignominie qu'il défend, voilà pourquoi il doit être craint de la même manière."

Kazuya avait fait plusieurs fois le tour de la table durant son discours. Après ces mots, il se rapprocha d'Akira et regarda par-dessus son épaule pour voir où il en était. Visiblement il avançait vite. L'héritier s'éloigna ensuite de lui pour retourner s'asseoir à sa place.

"Les équipes vont bientôt être annoncées et j'espère de tout coeur que je ne serai ni avec l'un ni avec l'autre, sinon il risque d'y avoir de sérieux problèmes. En réalité je n'ai envie de me retrouver avec aucun de ceux qui étaient présents à la scierie. Je ressens une forme de culpabilité malsaine à l'égard de Shin, et en particulier de Kaïto, comme si j'avais failli à mon devoir, même s'il m'était impossible de prédire qu'Aiden agirait ainsi, n'est-ce pas ?"

S'il avait été seul, Kazuya aurait probablement laisser rouler des larmes sur ses joues mais sa fierté l'en empêchait à cet instant. Le discours dont il était cette fois l'auditeur eut l'effet d'un ouragan, faisant disparaître une partie de ses récentes obsessions au profit d'idées plus pures. Kazuya avait désormais un plan en tête : il irait présenter ses plus plates excuses à Kaïto et Shin pour les événements, puis il essaierait d'oublier les tragiques événements de la scierie, tout en gardant un œil sur les deux individus dont ils avaient parlé un peu plus tôt.

"Tu as peut-être raison, en tout cas cela m'arrangerait bien, je te l'avoue. J'essaierai d'avoir une entrevue avec Kaïto et Shin dès qu'ils seront sortis de l'hôpital, je ne souhaite pas les déranger pendant leur convalescence."

L'héritier affichait un sourire de complaisance et ses traits semblaient des plus calmes, comme s'il s'était débarrassé d'un véritable fardeau. Il se leva de nouveau de sa chaise puis marcha sereinement vers un recoin de la bibliothèque particulièrement poussiéreux. Il était désormais en face d'un petit écriteau portant les caractères indiquant "Kekkei Genkai".

Bien qu'Akira semblait avoir fait le tour des ouvrages, ce recoin était très peu visible et son excitation lui avait probablement fait rater cette partie de la bibliothèque. Kazuya en tira quelques livres dont les noms étaient illisibles puis les posa sur la table. Du dos de la main, il écarta l'épaisse couche de poussière qui s'était amoncelée sur les couvertures.

"Tu étais passé à côté de ces livres, dans le doute je les ai amenés, peut-être sont-ils en mesure de t'intéresser."

Un des livres traitaient de façon succincte les Godai Seishitsu Henka, un autre les grands principes concernant les Dojutsus majeurs mais le troisième se distinguaient de ceux-ci. Il était bien plus gros, et bien que très poussiéreux, présentait un état de conservation impeccable. Il était intitulé "Le Clan Kaguya ou la maîtrise du Shikotsumyaku". 

Kazuya avait écouté les explications d'Akira avec une grande attention. Il fut une nouvelle fois assez surpris de sa capacité de synthèse, mais à ses yeux, le plus surprenant restait sa réaction vis-à-vis de l'ouvrage sur le clan Kaguya. Kazuya pensait qu'il susciterait plus la curiosité d'Akira mais visiblement, il avait jeté son dévolu sur un livre que l'héritier n'avait pas vu.

Le fameux ouvrage était totalement inconnu de Kazuya, et l'attitude d'Akira à son égard avait le mérite de pousser le jeune Mishima à s'y intéresser de la même manière. Hanshi Keitaro ? Inconnu au bataillon. Néanmoins, rien de bien surprenant étant donné les connaissances de Kazuya en la matière.

"Qui est-ce ? Je dois t'avouer n'avoir jamais vu ni ce livre, ni ce nom dans la bibliothèque."

L'excitation d'Akira pour cet auteur et ce livre était palpable. Tout du moins, c'est ainsi que Kazuya ressentait les événements, et lui-même commençait à être touché par le phénomène, dans une forme étrange et singulière de contagion.

Le récit d'Akira semblait presque surréaliste tant il était surprenant de trouver un tel ouvrage dans la bibliothèque familiale, qui avait toujours voulu rester pragmatique et éloignée d'un tel ésotérisme mal placé. Un secret qui pourrait changer la face du monde ? Kazuya était désormais vraiment fasciné par cette histoire et non plus par simple mimétisme.

"Hanshi Keitaro ? Si cet homme était si puissant que tu le prétends, il est surprenant que son nom ne m'évoque rien … Était-il une sorte de moine ou de personnage mystique vivant à l'écart du monde ? Je ne vois pas comment j'aurai pu ne pas connaître quelqu'un de cette envergure."

Kazuya se grattait la tête avec sa main droite et ses yeux fixaient le plafond, comme s'il était dans une réflexion profonde pour tenter de justifier son ignorance sur un tel sujet. Il se frotta ensuite le nez puis haussa les épaules, résigné à trouver une explication plausible.

"Je suis sceptique vis-à-vis de ton histoire, non pas que je pense que tu racontes des sottises, mais plutôt parce que je ne comprends pas pourquoi un tel livre serait ici, et encore moins comment il pourrait changer l'univers. Tu en as une idée, toi ? S'agit-il d'une sorte de carte au trésor conduisant à une relique ? Ou à un texte sacré contenant les enseignements d'un grand maître ? Si ce que tu me dis est vrai alors dis-toi bien que je compte prendre part à tes investigations."

Soudainement, le visage de Kazuya changea du tout au tout, sa curiosité presque enfantine disparue au profit d'une allure plus sombre, révélant la présence d'un doute. Un détail clochait, quelque chose de très important, mais il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus … jusqu'à ce qu'un éclair traverse ses yeux. Aiden.

"Ce maudit Aiden est lui aussi impliqué dans cette affaire ?! Me collerait-il comme mon ombre ?!"

Il hurla ses mots animé par une véritable fureur, les bras dirigés vers le plafond, comme s'il implorait le ciel que tout ceci était une histoire montée de toute pièce, une très mauvaise blague en somme.

"S'il est au courant de toute cette histoire alors j'en suis doublement, je ne peux pas rester impassible face à l'éventualité qu'il puisse mettre la mot sur un tel trésor …"