Le nouveau départ

Lorsque les Mishima rejoignirent Totsuka il y a des années de cela, ils flirtèrent un premier temps avec la plus grande des misères. La perte de leurs emplois et leur -nouvel- exil forcé les poussèrent à tout recommencer une fois de plus. Les premiers mois représentaient une période d'adaptation difficile, puisqu'ils devaient prouver à la communauté leur volonté de s'intégrer pleinement aux affaires économiques du village. Ainsi, la plupart de ceux en âge de travailler occupèrent un temps des emplois assez ingrats, non pas pour l'argent -ils en avaient suffisamment de côté- mais plutôt pour démontrer leur envie de s'établir définitivement.

Durant cette période, des pourparlers furent entamés avec le Ridage afin d'acheter une parcelle de terre périphérique au village, se trouvant à l'extérieur de l'enceinte d'époque. L'objectif était simple mais ambitieux : construire un quartier permettant le logement des membres du clan vivant déjà à Totsuka et ceux qui viendraient éventuellement s'y installer. Parallèlement, les infrastructures alors en place et à venir permettraient l'épanouissement économique de la communauté et du village. Les prérequis exigés par le chef du village étaient simples, puisqu'il avait eu la démonstration du bon vouloir des Mishima, ceux-ci pourraient s'installer de façon définitive et y construire leur quartier, à l'unique condition qu'ils se plient aux lois locales. En contrepartie, ils pourraient poursuivre la pratique de leurs coutumes et de leurs activités économiques d'antan, sans restrictions autres que celles prévues par la loi.

La parcelle fut achetée et le plus gros du travail s'apprêtait à commencer : la construction dudit quartier. Grand-Mère était devenue depuis peu la doyenne du clan, occupant ainsi une place privilégiée dans la chaîne hiérarchique en attendant l'âge mature du jeune Kazuya. Elle se chargea elle-même de trouver un architecte assez talentueux afin de remplir les exigences du clan, opération qui fut un succès. 

Simultanément à la quête de la doyenne, les Mishima travaillant le bois se chargèrent de l'édification d'une scierie. Conformément à la requête du Ridage, ils l'établirent à une bonne distance et l'installèrent proche d'une petite rivière tumultueuse afin de profiter de ses courants pour animer les machines. Parallèlement, ceux travaillant la pierre trouvèrent un flanc de colline rocailleux à exploiter. Bien que la roche fusse différente de celle qu'ils voulaient, ils la conservèrent pour ses propriétés. Elle était lourde et facilement taillable, même si le transport s'annonçait d'ores et déjà bien difficile.

Les travaux débutèrent en printemps une fois le mauvais temps de l'hiver passé. Ils commencèrent par creuser une longue allée très large qui serait l'unique point d'entrée du quartier. Par chance, le terrain était plat ce qui favorisait grandement les travaux à venir, ne nécessitant ainsi aucune constructions en terrasses ni d'opérations de nivellement. Une fois la gigantesque tranchée creusée,  ils commencèrent à acheminer de gigantesques blocs de pierres qu'ils firent tracter par des buffles, blocs destinés à paver la route. La stabilité du terrain permettait ce poids très élevé, garantissant une bonne conservation de la voierie sur le long terme. Ce chantier, bien que le premier, fut vécu comme le plus difficile, s'agissant de la construction laborieuse d'une gigantesque route conduisant à … nul part -pour le moment-.

Lorsque l'été arriva, la canicule vint entacher la progression des travaux qui furent arrêtés un bon mois, repoussant ainsi d'autant plus l'inauguration de la route. Cette période permit néanmoins le repos des Mishima, exténués par le labeur depuis leur arrivée à Totsuka. Leur fierté les condamnait à se débrouiller seuls et lorsque le manque de main d'œuvre commença à se faire sentir, les plus jeunes durent participer. Ainsi, certains se mirent à considérer que c'est grâce à cela que Kazuya acquit sa prodigieuse force, bien que cela ne soit que très partiellement vrai. Néanmoins cette histoire était redoutablement efficace pour inciter les jeunes Mishima à travailler durement donc les parents continuèrent à la conter. 

Ils finirent la route au début de l'hiver, non sans autres difficultés -intempéries et blessures entres autres-. Les blocs étaient de taille parfaitement adaptée, si bien que l'on n'utilisa que très peu de mortier. La finalisation de cette route fut marquée par l'installation de petites clôtures parsemées de fleurs colorées et de jolies sculptures, délimitant dès lors les futurs bâtiments qui se dresseraient bientôt le long de la route. Ce chantier se termina par le marquage des routes à venir, qui bien que plus petites, restaient nombreuses. S'apprêtant à construire le quartier d'un seul bloc, il fut décidé d'y optimiser les déplacements, les routes étant ainsi perpendiculaires ou parallèles entre elles, à l'instar d'un gigantesque damier

Cet épisode n'était que les prémisses des aventures qu'allaient affronter les Mishima au cours de leur établissement mais la finalisation de cette construction fit naître en eux un sentiment bien naturel : le plaisir d'être enfin chez soi.

Après la construction de la route principale, les travaux s'accélérèrent fortement dans un regain de motivation. Les plus petites routes perpendiculaires et parallèles furent en place en l'espace de quelques mois seulement et le véritable chantier commença à la fin du printemps. Les bûcherons profitèrent de la clémence du temps et de la douceur de saison pour couper le bois qui serait nécessaire à l'érection des premiers édifices. Parallèlement, les travailleurs de pierre continuèrent leur dur labeur, mais le plus dur était déjà derrière eux. L'architecture du quartier s'annonçait très traditionnel, utilisant pour grande partie du bois, si bien que les tâches qui leur restaient étaient assez minimes, c'est-à-dire la mise en place des fondations et quelques autres travaux de l'ordre de la finition.

Une fois les bases en place, les premiers bâtiments poussèrent comme des champignons. Les Mishima avaient très rapidement acquis un rapport très intime avec le bois ce qui n'avait pas manqué de susciter chez eux une certaine jalousie vis-à-vis des Senju maîtrisant le Mokuton. Quoi qu'il en soit, le gros œuvre avança très vite. Le bois subissait différentes étapes artisanales que les Mishima avaient apprises sur le tas ou qu'ils avaient eux-mêmes développées. Il était scié, traité contre la vermine et enfin ignifugé en partie grâce à une recette dont quelques membres seulement gardaient le secret, avant d'être finalement peint et couvert d'un léger vernis.

Ce travail était assez éprouvant mais n'était absolument pas vécu de la même manière que le pavage des routes. À vrai dire, tout le monde y prenait un certain plaisir, construisant leurs futures maisons et lieux de vie communautaire. Tout ceci leur laissa entrevoir le bonheur qu'ils auraient bientôt à gambader dans leur quartier, rentrant du travail ou allant faire quelques courses chez le cousin qui tient l'épicerie. 

À la fin de l'automne, la grande allée était presque terminée. Elle était bordée par de grandes maisons de deux étages dans un style des plus traditionnels. La totalité de l'édifice était en bois -ou presque-, à l'exception des toitures qui étaient faites en tuiles d'argile cuites. Le rez-de-chaussée de ces bâtiments prenaient souvent le rôle de petites boutiques ou de petits points de restauration rapide. Par ailleurs, l'un de ces commerces était ni plus ni moins que la taverne où Chôjun et Kanryô tenaient leur tripot clandestin, dans la cave-même du bâtiment. Les grandes maisons de l'allée étaient faites de telle sorte qu'elles avaient toutes en leur centre un petit jardin central. Elles étaient généralement habitées par plusieurs familles, généralement deux ou trois.

Une fois les habitations et les commerces construits, il était advenu l'heure de s'occuper des petits parcs, des lieux de vie communautaire et du bâtiment qui serait le centre de vie du clan : la grande bâtisse qui terminerait la grande allée et qui jouerait les rôles de dojo et de temple -entre autres-. Toutefois, une affaire plus importante vint occuper l'esprit des Mishima. Comme trop souvent, ils avaient été dans l'excès et avaient vu les choses en trop grand, si bien que les habitations construites étaient bien trop nombreuses par rapport à leur nombre, même en ajoutant les membres du clan toujours en vagabondage. Contrairement à ce qui avait été prévu au début, il fut par conséquent décidé qu'une partie des bâtiments seraient loués à quiconque le voudrait.

À cette époque, les gens avaient pu commencer à emménager, même si le quartier ressemblait toujours à un gigantesque chantier en activité. Kazuya occupait alors un petit appartement d'appoint avec sa mère et Grand-Mère, à deux pas de leur futur maison. Son impatience allait en grandissant avec la progression des travaux si bien qu'il passait désormais la majorité de son temps à aider à la construction, ajoutant une explication supplémentaire à sa mauvaise gestion du chakra durant ces temps-ci, délaissant presque l'académie pour se consacrer au projet faramineux.

Deux années plus tard, les constructions arrivaient enfin à terme, finitions inclues. La grande bâtisse surplombait le quartier de par la nature de ses fondations qui avaient été volontairement surélevées, offrant une magnifique vue s'étendant à des kilomètres lorsque le temps était clément. Certains prétendaient même qu'il était possible de voir la petite rivière bordée par la scierie du clan. En réalité, cela était totalement impossible mais cette petite rumeur venait renforcer la grandiosité du lieu.

Néanmoins, le coeur de l'histoire du jour est plutôt au petit parc qui fut construit à quelques pas de la grande allée, mais également à l'homme à qui il rend hommage. Il s'agissait d'un petit espace très agréable à visiter au printemps lors de la période de floraison, l'environnement rendant alors compte de l'infinité de sa palette de couleurs. Un petit étang trônait au centre. Il était déjà présent à l'origine et il fut décidé de le conserver. Des bancs en pierre étaient disposés autour, permettant de contempler les petits poissons qui gesticulaient lorsqu'on jetait un caillou, ou bien d'écouter les grenouilles coasser lorsque l'atmosphère était calme.

Bien que le parc était très beau, il n'était en rien différent de ceux qu'on pouvait trouver aux quatre coins du monde sur ces points. Ce qui le distinguait était son but profond, sa signification. Au détour de petits arbres fruitiers qui avaient été déterrés et plantés sur place, on pouvait trouver un petit sanctuaire, très modeste. Des cierges y étaient en permanence allumés afin de rendre hommage à l'homme à qui il était destiné : Jinpachi Mishima. Les bougies et les bouquets de fleurs étaient disposés en cercle, autour d'une statue de pierre de taille humaine. Elle était absolument splendide et l'attention portée au détail était à couper le souffle, presque gênante tant elle semblait réelle. Si elle avait été peinte, la confusion avec un véritable être humain aurait probablement été possible.

L'origine exacte de la statue était inconnue. Elle avait été donnée par un prétendu membre du clan Mishima faisant des affaires à travers le Pays du Feu, qui apprenant la nouvelle des siens à Totsuka décida de leur léguer symboliquement la sculpture de leur plus illustre patriarche. Chôjun était ivre mort lorsqu'il rencontra le curieux individu et que ce dernier la lui confia. Une épaisse confusion générale régnait autour de l'identité de cet homme, que personne ne revit jamais. Il était encapuchonné et emmitouflé dans un gigantesque manteau paraît-il, mais rien n'était moins sûr que les paroles du croupier lorsqu'il avait bu. 

Quoi qu'il en soit, le geste fut perçu comme un véritable cadeau du ciel et on décida de construire le parc autour de la personne du patriarche. Jinpachi Mishima était un grand gaillard de Kumo, la peau basanée, les cheveux blancs et la barbe épaisse. Il était reconnu au sein du village comme un grand maître du Taijutsu et plus spécifiquement du Nintaijutsu, qui devint dès lors un des symboles du clan Mishima. C'est d'ailleurs à lui que remonte toute la symbolique du buffle, surnommé de façon très évocatrice "Le buffle de Kumo" pour son physique hors normes et la force dont il faisait preuve. Pour ainsi dire, il était devenu un exemple pour tous les membres qui vécurent à ses côtés ou qui naquirent après lui.

Sa vie marqua l'âge d'or du clan Mishima, son absolue apogée et sa reconnaissance comme un élément clé du village. Toutefois, sa mort fut à l'origine de bien des maux. Jinpachi était à la tête d'un groupe d'hommes lors de la Troisième Grande Guerre Ninja lorsqu'ils disparurent tous sans laisser aucune trace. C'est ainsi que se volatilisèrent le patriarche et les privilégiés qui s'étaient vus confier ses enseignements les plus secrets. Cet événement fit l'effet d'un véritable choc à Kumo, et prit l'ampleur d'une absolue catastrophe au sein du clan. Suite à cette tragédie se produisit la fameuse guerre de succession qui marqua la presque disparition des Mishima au cours d'une guerre fraternelle.

Ce sanctuaire représentait beaucoup pour Kazuya qui voyait en Jinpachi, son grand-père paternel, l'incarnation même de celui qu'il voulait devenir. Ainsi, il passait régulièrement déposer une gerbe de fleurs et d'autres offrandes aux pieds de la statue de celui qu'il aurait voulu connaître.